Gagner la confiance des investisseurs, décrocher un crédit, ouvrir un compte bancaire… Des étapes primordiales pour démarrer un business. Mais nombre de réfugiés en France se heurtent à « des blocages immenses » au moment de se lancer.
D’un « franglais » enjoué, Magda Gegeneva, Géorgienne de 36 ans, met l’eau à la bouche en décrivant les recettes au menu de son futur restaurant: kachapuri, chaxoxbili…
Mais les gourmands devront patienter. Ses demandes de prêt bancaire afin de louer un local ont été vaines.
Après des tests effectués à Villeurbanne, le Défenseur des droits Jacques Toubon a alerté, le 21 septembre, sur l’existence dans le secteur bancaire « de risques réels de discrimination » à l’encontre du « client d’origine étrangère » pour l’accès aux crédits à la création d’entreprises.
Un avertissement contesté par la Fédération Bancaire Française qui dénonce la méthodologie « approximative » de ces tests, réalisés à l’échelle d’une ville, mais qui assure: « si certains cas de discrimination étaient avérés », la fédération ne pourrait « que les condamner vigoureusement ».
« Cacher mon identité de réfugié »
Pour Hamze Ghalebi, réfugié iranien, le problème est que « la majorité des organismes qui travaillent avec les réfugiés y voit (uniquement un acte) de charité, pas un investissement ».
Lui-même « cache souvent (son) identité de réfugié lors des réunions professionnelles parce qu’elle (le) déqualifie », confie à l’AFP cet ancien directeur exécutif d’un think tank à Téhéran qui a fondé son propre cabinet de conseil à Paris.
Face à des « blocages immenses », Jamil (le prénom a été modifié), réfugié afghan arrivé en France en 2010, ne sait plus « comment attirer l’attention des investisseurs » sur son projet de restaurant.
Si les organismes compétents interrogés ne disposent pas de chiffres sur le nombre de réfugiés entrepreneurs, des solutions de micro-financement existent pourtant.
Chaza Abdoulaye se souvient de la somme exacte obtenue du fonds de microcrédit Adie qui aide les personnes n’ayant pas accès au prêt bancaire à créer leur entreprise: « 2.400 euros » pour s’installer comme couturière.
« J’ai tout de suite fait confiance à Chaza », raconte à l’AFP Saida Bousafsaf, sa conseillère chez Adie.
A Alep, la couturière était « chef d’entreprise de 45 employés. En France, elle avait commencé à se constituer un réseau », détaille Mme Bousafsaf, précisant que sa cliente avait un garant « syrien qui a fait ses études en France, chef d’entreprise lui-même ».
Outre la recherche du garant, les réfugiés rencontrent des difficultés « liées à la langue, à la compréhension de l’environnement administratif, fiscal, juridique, français », indique Adrien Gizon, chef de projet Adie International, estimant qu’il faut « investir plus de temps pour les aider à construire leurs projets ».
« Pas un service public »
Pour des personnes originaires « de pays du Sud » où « la culture de l’entrepeuneuriat est plus forte », « l’arrivée en France où tout est administré » peut aussi, selon lui, constituer « un choc ».
Ammar, réfugié syrien, a fait preuve d’endurance: « un an » pour ouvrir un compte bancaire dédié à son activité de cuisinier.
Le trentenaire, qui a souhaité que son prénom soit modifié « pour ne pas avoir l’air de critiquer le système français », énumère les adresses de chaque agence bancaire visitée.
Celle où il s’est rendu « sept fois » avant d’être refusé. Celle où le « comportement » de l’agent a changé « dès (qu’il) a montré sa carte de réfugié ». Finalement, un ami lui recommande une « gentille » banquière. « Deux semaines plus tard », le microentrepreneur dispose de son compte.
Difficile d’estimer le nombre de comptes bancaires appartenant à des réfugiés, le critère du statut de réfugié n’étant pas retenu par les banques. Mais leur ouverture pose un « problème récurrent », confirme à l’AFP Fatiha Mlati, directrice de l’intégration chez France Terre d’Asile (FTDA).
Être « étranger » et « précaire » (« instabilité du logement, perception du RSA ») font que les réfugiés « ne sont pas les clients les plus attirants pour une banque », affirme-t-elle.
Pour y remédier, FTDA a établi une convention avec la Banque postale en 2008. Ce document aide les agents à identifier les différents titres de séjours des réfugiés, à reconnaître leurs pièces justificatives.
Cette démarche « aide à mieux cerner la clientèle », notamment en favorisant une « meilleure connaissance (…) de l’actualité » par les agents, estime Laurent Boucherat, responsable clientèles fragiles et spécifiques à La Banque postale.
BNP Paribas affirme également « mener un travail de pédagogie auprès de ses collaborateurs ».
Quelle que soit la raison, les banques ne sont pas tenues de justifier leur refus. « Ce n’est pas un service public » mais « une relation commerciale », a-t-on expliqué chez LCL. Contactés, la Société Générale et le Crédit agricole n’ont pas donné suite.
Droit au compte
Pour les recalés des banques, il existe un recours: le droit au compte. Comme toute personne résidant en France, les réfugiés peuvent saisir la Banque de France, qui désigne, sous 24 heures, une agence obligée de leur ouvrir un compte.
Pour ce faire, le demandeur a notamment besoin d’une pièce d’identité valide (française ou étrangère), d’une attestation de domicile et d’une lettre de refus de la banque. Les entrepreneurs doivent aussi fournir les documents attestant de leur activité.
Malgré le Code monétaire et financier qui impose à la banque de remettre la lettre de refus sans délai, Rooh Savar, réfugié iranien fondateur d’un média en France, a attendu « deux mois » pour la recevoir et faire valoir son droit au compte pour son entreprise.
Au final, une solution pas optimale: un compte mais pas de chéquier, pas d’autorisation de découvert ?. Mais Rooh Savar reste déterminé. Avec ses collaborateurs, il est déjà « en train de lancer une filiale en Italie ».